Lui, c’est Thierry Yernaux qui tenait le garage du Palais, rue de Mangombroux.
Elle, c’est Marie Théate, la poissonnière theutoise, l’artiste de la Marotte… la fille de Gustave, quoi !
Avec leurs deux grands garçons, ils sont allés s’installer en Provence. Près de [?Saint-Michel-l’Observatoire]. Là où les étoiles se regardent toute l’année, là où les nuages ne passent pas, là ou les cigales ne sont pas dérangées par les pesticides, là où la nature règne en maître paisible et sauvage à la fois, reposante et cruelle à la fois, amie et ennemie, dure et tendre.
C’est sur la nationale 100 que vous trouverez la station. Avec ses trois pompes, le bureau derrière et un hangar qui fait garage, posé sur le côté avec son grand volet métallique. Dans le fond, contre la clôture, les bonbonnes de gaz. De chaque côté des pompes, sur le talus d’herbes… deux jeeps, une berline à gauche et trois autres voitures à droite. Toutes portent l’affichette fluo “à vendre”. C’est le show-room !
C’est du capot levé d’une voiture malade qu’émerge Thierry. La bouffarde à la main, c’est en provençal qu’il nous accueille. On s’y croirait ! ?Giono] n’est pas mort. L’urgence est de fermer le garage pour rejoindre Marie à la maison. Mais l’urgence, là-bas, ne se conjugue pas comme à [Theux. Une par une, les voitures “à vendre” sont amenées devant le garage. Imbriquées les unes dans les autres, elles seront les gardiennes de la station durant la nuit tout en s’auto protégeant chacune. La dernière, comme une clé de voûte venant caler le tas.
Thierry est pressé. Il sait que Marie se réjouit de nous revoir. Il ramasse ses chiens, grimpe dans la jeep qui démarre dans un nuage de diesel qui nous servira de guide jusqu’au premier arrêt : le café du village.
Dernière pompe avant la montagne, nous y prenons l’apéro. Tout le monde se connaît. Ils ont dû nous voir arriver. Ou bien ils savent qui nous sommes. On sent que les nouvelles vont plus vite à la campagne qu’à la ville.
La caravane repart : Thierry, le nuage de diesel, les Héroufosse. Le chemin est fait de grosses pierres, de terre mouillée… au gué on prend un peu d’élan, ça patine, ça grimpe, ça touche, ça passe et on y est. Marie est sur la terrasse. Elle rit. Elle a décoré la table comme pour Noël. L’âtre diffuse une chaleur bien agréable car la Provence est plongée dans le froid et les inondations. Notre bonheur se partagera à l’intérieur.
Ah ! Ils savent recevoir… Le tire-bouchon fait son travail, les deux grands fils ont entendu le “pop” et rejoignent la table, les cuillères volent et la carabine de chasse près de la porte annonce “la grosse pièce”. On parle de champignons, de vins et de gibier. Un couple ami nous a rejoint pour le dessert. On parle de la vie, du Franchimont, des amis, on rit et on boit l’avant dernier.
Lorsque nous nous éveillerons le lendemain, seule Marie est là. Thierry est déjà à la pompe. Il est parti tôt afin de conduire son fils à l’arrêt du bus. Les souvenirs de la veille, le bruit des tasses et les rires ne réveilleront pas le second gamin qui bénéficie de quelques jours de convalescence. Nous avons laissé Marie là avant d’aller dire au revoir à Thierry pour reprendre pied, petit à petit, dans la civilisation. Plus on se rapprochait de Theux, plus nous nous disions qu’ils étaient bien loin de nous.
Certains lieux de vacances nous apparaissaient tout à-coup comme des lieux d’exil au bout du monde. Cette solitude, comme le chante si bien [?Barbara], “nous referait même l’hiver en plein cœur de l’été”. Si vous passez un jour près de [?Forcalquier], allez les embrasser et redites-leur qu’ils nous manquent.
Raymond Héroufosse.
Pays de Franchimont 640 décembre 1999