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Rien au départ ne laissait présager qu’André Wilkin, Theutois de souche né voici 57 ans dans le bâtiment familial, place du Perron, allait être un des ferments artistiques les plus éminents de sa génération.

En effet, son père, le boucher-charcutier Olivier Wilkin, avait un des commerces les mieux réputés du centre-ville et le fiston se voyait bien entendu destiné à reprendre l’entreprise, par ailleurs très florissante. A l’âge de 14 ans, après trois années de moyenne (modernes) à l’Institut St Michel, André se retrouvait, effectivement, devant l’étal paternel. Après 18 mois de service militaire à l’Hôpital Militaire St Laurent à Liège, où il fonctionna en tant que préparateur de salle d’opérations, il réintègre la boucherie en 1954. Pour l’anecdote, il fut au préalable ajourné au Centre de Recrutement et de Sélection pour poids insuffisant (47kg600 pour 1m65).
Déjà, cependant, les muses le tenaillaient et le travail harassant demandé par ses activités d’indépendant l’empêchaient de pouvoir se consacrer aux activités artistiques. André voulait changer: la décision fut prise de quitter le giron professionnel et familial à l’âge de 32 ans.
Entretemps, l’artiste se souvient avec précision de la première boîte de peintures à l’huile qui lui fut offerte : par son épouse pour son vingtième anniversaire. Le premier essai de dessin fut proposé à un érudit de l’époque : Jean Boxho qui était un des rares à maîtriser des notions d’Art suite à des cours donnés … par correspondance! Il fut émerveillé et encouragea le jeune André qui se souvient de sa solitude, en tant que peintre, dans une petite commune rurale comme Theux. Notre artiste en herbe se lança dans des cours spécialisés donné sur un programme de l’Académie et qui, également par correspondance, durèrent trois ans! Citons-le: «l’Art était vraiment pour moi quelque chose d’important, pas un simple passe-temps, mais un bien durable. Je n’ai plus vécu que pour cela».
Après avoir déclaré l’Art et la boucherie inconciliables, Wilkin cherche un métier à exercer dans la région et octroyant plus de liberté: il est engagé comme représentant par le comptoir charbonnier de Malmédy (C.C.M.) où mazout, demi-gras et autre anthracite ne le passionnent guère, mais lui permettent d’enfin vivre: il a le temps de peindre, de bien peindre. Les œuvres se succèdent à un rythme fou, les expositions également. Liège, aux Galeries Jean Dois et Cathédrale; à la Société Royale des Beaux-Arts à Verviers; à Spa, au Cercle Artistique; et bien sûr, à Theux->rub76], au défunt Cercle Pro Arte qui reçut les plus grands artistes régionaux et mêmes nationaux dans les locaux de la Maison Lebrun, notre actuel [Hôtel de Ville (septembre 1970).
Notre Theutois persévère, connaît la réussite et recueille les éloges de la critique. André Blavier, en 1972, n’hésite pas à le qualifier de «grand artiste wallon». «Les histoires d’Io de Wilkin, écrit Blavier, me semblent-elles s’inscrire dans une grande et vivace tradition. Celle de Goya, de Daumier, d’un certain Picasso et de Siqueiros, ou, plus stylisée, celle d’un Gromaire, d’un Kisling». Quelles comparaisons. André est aux anges, il a appris à vraiment vivre: il est entré de plain-pied dans le monde secret et tant fermé de l’Art, du vrai. L’expressionnisme ardent d’André Wilkin explose et… impressionne. La commune de Theux lui rend un vibrant hommage en inaugurant, en juin 1973, une de ses sculptures exposée publiquement à Hodbomont. Comme toute œuvre, on aime ou on n’aime pas, mais on la remarque. Qui a dit que «Nul n’est prophète en son pays ?» Car André, gavé de peintures, ose maintenant à se risquer à la sculpture, qu’il estime «nettement plus simple» et «reposante». Les linogravures, les dessins figurent également à son vaste registre.
Depuis une dizaine d’années, André met son Art au service des autres et il l’apprend volontiers «aux élèves, même peu doués, mais vraiment motivés et sérieux». Pour le paraphraser, «il est malheureux quand il tombe dans la complaisance et la facilité, quand on ne veut pas se dépasser». Pour lui, l’Art est tellement important qu’on ne peut le pratiquer à moitié, il n’y a pas de trucs et de ficelles, il faut toujours travailler et se remettre en question. Il dispense, comme animateur de la Galerie «La Marotte» (son idée) – l’une des plus dynamiques et, artistiquement et culturellement parlant, des plus riches du pays – son savoir à «tout qui le mérite, il est là pour cela».
André Wilkin, depuis quarante ans, estime avoir fait, envers et contre tout, ce qu’il voulait. Il a fait ce qui est la volonté de tout grand artiste: consacrer sa vie à l’Art.

Philippe BOURY.

Pays de Franchimont 534 novembre 1990

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