Au-dessous de l’arrêt du tramway vicinal, à Jehanster, en suivant la grand route qui descend vers Polleur, on voit à droite et en contre bas de la route une prairie où se trouve une fontaine jadis réputée. Deux voies y donnaient accès : le sentier qui s’amorce près de l’église et le vieux chemin, dit “du Many”. C’est une fontaine excellente qui ne tarit jamais ; chaude en hiver et froide en été disent les paysans.
Il y a bien longtemps, à l’époque où la prairie n’était pas défrichée et où les bois arrivaient jusqu’au près du village, l’accès de cette fontaine était réputé très dangereux.
Un terrible serpent, disait-on, rôdait aux alentours. Hideusement vert, il était gros comme un arbre et long comme un carême. Signe d’une extrême vieillesse, sa nuque était recouverte d’une abondante et longue chevelure tandis que, sur le front, il portait un diamant énorme dont les mille feux l’éclairaient le soir.
Chaque jour, à minuit, il venait se désaltérer à la fontaine. Pour que son joyau ne roulât pas au fond de la source, il le déposait sur le sol avant de boire.
C’était tentant pour les initiés : une belle fortune était assurée à celui qui pourrait lui subtiliser le brillant. Mais comment s’y prendre ? Le serpent était énorme et terriblement venimeux ; plus d’un téméraire, affirmait-on, avait déjà payé de sa vie sa cupidité et son audace.
Un paysan de Jehanster y parvint cependant. Il prit un grand tonneau et le garnit de multitude de clous, longs et pointus, enfoncés par l’intérieur, la pointe en dehors.
Un soir, il conduisit son engin près de la fontaine, le plaça près de l’endroit où l’on savait que le serpent déposait sa pierre, entra dans le tonneau, en referma solidement l’ouverture et attendit.
A minuit, le serpent s’amena comme d’habitude ; sans défiance, il déposa son diamant à la place accoutumée et se mit à boire. Une petite ouverture pratiquée vers le bas du tonneau s’ouvrit tout doucement ; un bras en sortit qui saisit le brillant et la trappe se referma.
Qui fut bien marri quand il voulut reprendre son trésor? Ce fut le monstre. Il se mit à siffler de façon effrayante et, sentant où était caché son larron, il pensa à défoncer le tonneau pour punir le coupable et reprendre son bien. Se tendant comme un ressort, il se lançait contre les douves, mais, à chaque coup, il se blessait aux longues pointes acérées qui les garnissaient de partout. Il y perdit son sang et ses forces.
A l’aube, quand l’homme sortit de sa prison, il trouva, flottant dans la fontaine, le cadavre du grand serpent.